SES DEBUTS

Trevor Lancelot Crozier est né sur les docks de Southampton, dans le Hampshire. Il racontait à l'envi que sa mère éprouva prématurément les douleurs de l'enfantement alors qu'elle faisait ses adieux à son mari. Il partait pour la guerre. Nous étions en 44. La ville était en ruines. 

 

Dès sa naissance, les Crozier mesurent que ce petit bout de chou ne sera jamais aux normes européennes. Une coquetterie à l'œil, la jambe déformée par la polio,  ce sera le canard boiteux d'une famille qui importe du tabac en Grande-Bretagne. Ce qui lui vaut de séjourner en Afrique dès son jeune âge et d'être condamné à fumer la pipe le reste de sa vie...

 

 CROZIER ? UN sacré NOM !

Crozier est le nom d'un clan à cheval entre l'Angleterre et l'Ecosse. Ce fut aussi celui d'un fameux explorateur d'ascendance irlandaise disparu dans l'Arctique vers 1845. Un cap, une île, un mont et même un cratère lunaire rappellent aujourd'hui Francis Crozier 

Le patronyme est aussi très porté en France où il désignait au sud de la Loire ceux qui mesuraient le grain.  Un ambassadeur ou encore un sociologue se sont distingués chez les Crozier français.

  Le jeune Trevor fut éduqué à l'école de Market-Drayton, dans le nord du Shropshire. Il ne pouvait mieux tomber : cette ville est un creuset de musiciens. Il poursuit ensuite ses études à Plymouth, dans le Devon. Avant de basculer dans la marmite de la musique traditionnelle...

 

In Dublin fair city...



 

Dans les années 60, on le retrouve en Irlande, au Trinity college de Dublin, où il étudie l'histoire ancienne, les différentes variétés de bières et toutes formes de bouffardes extravagantes. Animateur d'un folk-club très couru qui, pour attirer frauduleusement la clientèle, vous promet de passer la nuit avec Mlle Joan Baez, Trevor Crozier fait le bœuf avec des groupes comme House of David Jug band ou encore les mythiques Sweeny`s Men, trio dont est issu Andy Irvine, le fondateur de Planxty. C'est sans doute à cette époque qu'il aurait échangé avec lui une guitare portugaise contre une Gibson. Bref, Trevor se retrouve là à la source du mouvement folk en Europe occidentale. Il s'y baigne avec délice...

 Au zénith de sa maturité, Trevor dans un costume improbable (coll. CJ Beard)

  

Le soir, à la sortie des pubs, on croise dans les rues de la capitale irlandaise foule de jeunes folksingers qui se feront demain un nom. Dont, pipe au bec, Trévor Crozier avec sa jambe raide, son strabisme et sa voix de stentor teintée d'humour et rythmée de quintes de toux. Ses expériences musicales lui entrebâillent les portes des studios de radio et de télé...

 

 Il est alors l'ami de Tom Munnelly, un collecteur d'airs traditionnels irlandais. Il croise aussi Ian Whitcomb qui, comme lui, donnera dans le style Scrumpy & Western. Un genre musical qui est un clin d'œil au folklore de l'ouest de l'Angleterre, truffé de doubles sens.

 

 " On Dublin's Molesworth street, after the pubs had closed on a typical night, you might find Dolly McMahon, Johnny McEvoy, Johnny Moynihan, Andy Irvine, Peggy Jordan scouting for talent, Maeve Mulvany, Trevor Crozier the Trinitry student with a stiff leg..."

Andrew Rynne, Vasectomy doctor, 2005

 

  Sur la photo ci-dessus, Trevor est sur la plus haute marche du 22 rue de Waterloo à Dublin où Brian Trench louait un studio en sous-sol. Elle a été prise durant l'année universitaire 65-66. Le groupe tenait son nom de "House of David blues" enregistré en 57 par les McGee Brothers et Arthur Smith et publié en 64 sur Folkways FW 2379. Cet enregistrement est maintenant disponible en CD (Smithsonian Folkways).  

Trevor possède quelques albums de Bob Muldaur. Ils vont inspirer le jeu de planche à laver de Brian Trench qui donnera, avec House of David Jug band des concerts de soutien à la chanteuse folk sud-africaine Nadia Cattouse ou encore, à Belfast, au pionnier du Rhythm and blues en Angleterre, Alexis Korner.

 

  Les musiciens: Jake Harries (chant, long cou de 5 cordes, autoharpe), Brian Trench (chant, planche à laver, interprète inspiré qui deviendra éducateur, auteur et journaliste), Trevor Crozier (chant, guitare, harmonica, kazoo), Patricia "Montana" Bryson (chant, sifflets) et Richard Hawkins (banjo, il deviendra éditeur de musique bluegrass en Irlande). Le joueur de cruche au premier plan reste à identifier.

 

 Richard Hawkins se souvient : "Trévor était étudiant au Trinity collège et j'étais un très jeune membre de l'équipe du département d'Histoire. Je cherchais à devenir plus organisé, plus respectable, mais la compagnie de Trevor n'était pas toujours une aide en ce sens. Mais le plus grand souvenir que je conserve de lui, c'est sa bonhomie. Il était presque toujours joyeux et enthousiaste. Je n'ai eu l'occasion de le voir furieux que deux fois. La première, c'était lors d'une à fête à Dublin à laquelle Trevor avait chanté une chanson traditionnelle de Cornouailles. Quelqu'un lâcha avec mépris que cette musique n'était pas assez virile. Trevor était, je crois, plus indigné par cette insulte à la musique qu'il aimait qu'il ne l'aurait été si sa propre virilité avait été mise en cause...

 

 

"Une autre fois, mais peut-être était-ce à la même fête, qu'importe, il avait dirigé le chant à hisser "Blood red roses" avec les paroles de A.L. Lloyd dans le film Moby Dick et dont certaines furent peut-être inventées par LLoyd lui-même. De toute façon, c'est un puissant shanty si les refrains sont chantés avec des voix fortes et au bon moment. J'étais de ceux qui, assez nombreux, chantaient. Mais Trevor n'était pas satisfait. Quand nous arrivions à "Go down, you blood red roses (Descendez, vous, les roses rouges de sang), il a laissé échapper un grognement angoissé : "Sing, you, bastards ! (chantez, vous, bande de bâtards !) Je suis sûr que nous faisions de notre mieux. Mais pour Trevor, nous étions loin de tirer assez fort sur la drisse..."

 "He was quite scholarly, 

but frankly,  

a complete nutter..."   

 

Le groupe de Trevor sera à l'affiche du Queen's University Festival. Avec plusieurs artistes, The house of David s'est produit au Trinity collège en première partie du chanteur irlandais traditionnel Joe Heaney. "Il indiqua au public avec sévérité que ce que nous venions de jouer n'était pas du folk song mais de la pop music. Ce qui était la vérité absolue..." 

 

 Justement : que jouait le groupe de Trevor. House of David blues, bien entendu. Jack Harries avait composé à l'autoharp une adaptation de Victory rag. Le groupe reprenait des morceaux de Jim Kweskin Jug Band, Even Dozen Jug Band. Plusieurs titres reviennent à la mémoire de Richard : Whashington at the valley forge, Jug band music, Ukulele lady, On the road again. Il y avait aussi une version instrumentale de Sweet Lorraine, une chanson de 1928 devenue un standard du jazz. Trevor en interprétait le thème principal au mirliton. "Je m'en souviens très bien, raconte Richard, car, sur scène, je devais me tenir sur la tête tout au long du morceau. Aux dernières mesures, mes jambes vacillaient et je m'effondrais sur le plancher. J'étais alors traîné dehors par le reste du groupe." Effectivement, ça marque.

(A SUIVRE)

 

1 commentaire:

  1. Ces pages ont été créées suite à la décision scandaleuse d'Orange de supprimer tous les blogs de ses abonnés

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