SON PROPRE GROUPE

C'est en 1971 que Trevor Crozier fonde enfin sa propre formation : Broken Consort. Il recrute à cet effet son épouse ainsi que de Vic Gammon. Ce dernier, entre autre instrument, apporte dans cette association un pipeau d'une valeur de 75 pences. Ses entrées en scène ne sont pas sans rappeler Long John Silver dans l'acte II, scène 1. 

Broken consort est un vieux terme de l'époque baroque qui, en Angleterre, désigne un ensemble d'instruments de familles différentes. Mais l'expression est à double sens et peut signifier l'époux cassé. Du reste, Trevor ne manque pas de signaler aux spectateurs que si le groupe s'appelle ainsi, c'est en référence à sa femme...

Le répertoire puise à trois sources : le folk, la musique médiévale et la Scrumpy, farce paysanne, genre chanson à boire, qui écorche l'oreille raffinée des puristes.

En 1971 encore, le trio accompagne Dave Goulder et Liz Dyer pour douze titres réunis dans un album intitulé The Raven and the Crow et produit par la division Argo de la compagnie Decca.

La même année, Tony Rose chante Jug bad the charts, écrit par Crozier et Shelton, lors d'un concert enregistré à Cheltenham.

Le premier album

 Sous le label Argo, A parcel of old crams fut enregistré en 1972 dans les studios Decca à Londres par Kevin Daly qui en fut le producteur. Suzette Stephens réalisa la photo de couverture qui montre bien le côté excentrique de Trevor. 


 La tonalité des seize titres est encore ce mélange insolite de musique médiévale, folk, jazz, Scrumpy and Western...

 Un ou deux titres émergent : Don't Tell I, Tell 'Ee, repris la même année par Adge Cutler and the Wurzels pour la seconde fois. C'est aujourd'hui un classique du  genre avec Dead Dog Scrumpy, le tube de Trevor chanté bien des années après sa mort, n'en déplaise à ceux qui l'ont enterré de son vivant.


 

Ma préférée ? Soldiers Three ! Voilà une ballade héritée du fond des temps, la Renaissance. Son thème est classique : celui de ces soldats s'en revenant de guerre, tout doux, assoiffés mais fauchés comme les blés. Son originalité tient de cette phrase en français qui revient sans cesse : "Pardonnez-moi je vous en prie..." Elle me rappelle que mes ancêtres normands ont introduit ce sabir à la cour d'Angleterre. Soldiers Three est en principe un chant polyphonique interprété avec une certaine distinction entre ténors de bonne compagnie. Là, en se raclant la gorge, Trevor vous fait les trois voix en même temps sur un rythme très enlevé. Cette mélopée épique lui va comme un gant. Avec ses cordes vocales de soudard lustrées au tabac et au houblon, Trevor sait se montrer émouvant. Surtout quand Annie brode derrière lui un accompagnement au psalterion. 

Plusieurs musiciens épaulent le trio. Laissons Trevor les présenter lui même : 

1) Vice-Amiral Sir Roger Bootle, avec l'autorisation de la marine suisse. Ses arrangements à la trompette sont de l'archange Gabriel.

2) Doctor Malcolm Perkins, vicaire de St. Pancras et de toutes les stations jusqu'à Carlisle.

3) Knuckles O'Garrik dont l'imitation de basse-cour est une spécialité.

4) The Maharishi David Green, Mucker of the Queen’s Musick.

5) Bob Common, sur un prêt consenti par un autre groupe (The Yetties), tambours, cymbales et autres objets de première nécessité...

6) Eli Bickerstaffe, ukulélé, banjo-ukulélé, ukulélé d'amore, boudins noirs et blancs.

Des deux albums personnels de Trevor, A parcel of old crams est à mon avis le plus réussi. Trevor donne l'impression de ne pas chanter toujours juste et de prendre des libertés avec le rythme. L'impression. Car il fait de cela sa marque de fabrique. Sa gouaille éraillée d'aristo du macadam, de mataf en bordée fait de vous son complice amusé si vous n'êtes pas trop coincé. On se dit que Shane MacGowan, le chanteur déjanté des Pogues, a sûrement entendu Trevor dans les haut-parleurs d'un ferry en perdition entre Plymouth et Roscoff. 

 Un critique musical comme Richard Falk vous dira que A parcel of old crams est le pire des albums jamais produits par Argo. On s'en tape. Sa cote dépasse aujourd'hui la centaine d'euros. Quant à la sympathie gardée à Trevor par ses auditeurs indulgents, elle n'a pas de prix.


 

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